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LE POIDS DU JOUR

Une image estompée passa un instant au fond de lui-même. À peine le temps de reconnaître, toute menue comme dans un rêve, l’image de Germaine Cyr.

Robert Garneau revint à lui avec un sursaut. Il regarda l’heure. Jocelyne sûrement se demanderait ce qui lui était arrivé. Mais il n’en dirait rien.

Rue Papineau, un groupe de jeunes gens discutaient avec animation à la porte d’une boutique de journaux-cigarettes-bonbons. Parmi eux, deux soldats en uniforme, comme on en voyait de plus en plus.

— … tout d’un coup sans rien dire d’avance. Personne ne les attendait.

— Comment ?… comme ça ?

— Ben oui ! Pendant que leurs délégués discutaient encore à Washington, deux mille aéroplanes sont arrivés tout d’un coup et ont lâché leurs bombes sur les bateaux. Ils ont mis le feu partout. Un beau saccage !

— Dis donc, des vrais cochons ! Pire que les Allemands ! Au moins, Hitler avertit, lui !

— Comme ça les États-Unis sont en guerre ; veux, veux pas !

— Tant mieux pour nous autres, dit l’un des soldats. Ça durera moins longtemps, avec les États-Unis dedans.

Garneau entra dans la boutique acheter son Petit Journal. C’est alors que du marchand il apprit Pearl Harbour. Rentrant chez lui, il trouva Jocelyne le visage collé au poste de TSF.

— Tu as su, papa ? C’est épouvantable !

Il fut content qu’elle ne l’interrogeât pas sur la cause de son retard.

— Oh ! tu sais, comme ça, ça va être plus vite réglé.

— Tu crois ?

— Naturellement ! Qu’est-ce qu’ils vont prendre, les Japonais ? Il y a assez longtemps que les Américains attendent l’occasion de leur tomber dessus. Le temps de les rejoindre ! Dans un mois, deux mois tout au plus, ce sera fini de ce côté-là. Et alors les Américains vont venir nous aider contre l’Allemagne. C’est un vrai service que les Japonais nous ont rendu là. Le déjeuner est prêt ?

— Dans cinq minutes, papa.

Mais elle avait l’air ennuyé.

Elle pensait à la guerre ; et pensant à la guerre, elle pensait à Lionel.