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LE POIDS DU JOUR

Images nostalgiques.

À Robert qui avait eu la flânerie en horreur était venue insidieusement l’habitude de la sieste. Le déjeuner expédié, il montait en son petit bureau de l’étage et tirait de ses tiroirs quelque dossier déjà connu ou un bulletin de Bourse. Il envisageait à loisir des changements à son portefeuille, étudiait sans hâte le rapport annuel de quelque société anonyme. Calé dans son fauteuil, une torpeur insidieuse enveloppait ses bras et son cerveau d’une ouate confortable. Il luttait bien un moment, changeant de posture, redressant les épaules. Puis sa volonté même le trahissait. « Pour un instant », se disait-il, il fermait ses paupières lourdes et laissait sa tête glisser sur l’appui.

Une heure plus tard il s’éveillait les bras gourds, la bouche amère, parfois un filet de salive au coin du menton, et empâté d’un engourdissement qui jusqu’au soir le tiendrait amolli.

Néanmoins, les heures même vides lui paraissaient incroyablement courtes ; la fin du jour le trouvait stupéfait qu’elles eussent passé si vite. Lorsque le soir, au cri lointain de la locomotive de minuit et demie, il posait sa tête sur l’oreiller et éteignait sa lampe, il lui semblait répéter là un geste qu’il venait de faire tantôt, si rapide avait été la fuite des vingt-quatre heures. Comme si le temps eût triché sur la mesure.

Sa mollesse contrastait avec la vitalité de Lafrenière. Celui-ci était décidément sur la bonne pente. Laissant sa femme, Marie-Claire, aux bonnes œuvres qu’elle dirigeait à Val-d’Or, le financier qu’il était devenu venait passer à Montréal de longs bouts de semaine. Il assistait aux assemblées des bureaux où il était administrateur et même président. Puis d’une assemblée à l’autre, il remettait son retour vers les solitudes relatives de l’Abitibi. Comme secrétaire il avait pris Josette Dallin.

— Écoute, Robert, ce soir je t’amène. Nous allons en ’party’. Pete Huot nous a invités à sa suite, au Windsor. Viens. Je veux te présenter deux ou trois petites femmes gentilles comme tout ! Tu viens ?

— Non ! J’ai du travail ce soir.

Hermas haussait les épaules et branlait la tête.

Jusqu’à Jocelyne qui insistait auprès de son père pour qu’il sortît un peu. Au fond, et quelque précieux souvenir qu’elle eût gardé de sa mère, elle se rendait compte du vide dans la vie de son père et n’était pas loin de souhaiter pour lui un second mariage. Que deviendrait-il lorsqu’elle-même se marierait ? Jamais elle ne pourrait se résigner à l’abandonner, seul ainsi. Pourtant !…