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HÉLÈNE ET MICHEL

Parrain leva des yeux surpris. Il s’attendait à une voix lourde de chagrin ; elle était dure et sèche. Ses yeux parurent interroger ceux de son filleul avec une espèce d’inquiétude. Il attendit et hésita avant que de continuer à parler. Se serait-il passé quelque chose pendant sa courte absence ? Mais Michel le regarda et sourit un peu, d’un sourire qui n’était pourtant que du coin des lèvres.

— Vous avez fini, mon oncle ?

— Oui. Je suis passé à l’église et chez Bigras, l’entrepreneur ; j’ai réglé.

— Merci, monsieur Lacerte. Je vous rembourserai ces jours-ci.

— Laisse faire Michel, ce n’est pas pressé.

La voix du vieil homme était morne et les mots tombaient de sa bouche lourdement, humides et gonflés de larmes inexprimées. Il avait beaucoup vieilli depuis peu.

La mont d’Hélène, à qui il avait toujours, depuis qu’elle était enfant, témoigné tant d’affection calme, semblait l’avoir vieilli plus encore. Michel, pour qui le monde entier avait changé de visage maintenant qu’il avait perdu sa mère, Michel fut reconnaissant à cet homme qui lui, au moins, était modifié dans son être par une telle catastrophe quand tout, par ailleurs, restait apparemment indifférent et inchangé. Tant que parrain serait là, il se sentirait un peu moins seul. Ils seraient deux à entretenir le feu sacré du souvenir.

En maigrissant et vieillissant, il était venu à monsieur Lacerte des bajoues qui tremblaient mollement quand il parlait. Ce qui autrefois semblait une tonsure s’était fait calvitie. Il ne lui restait plus de cheveux qu’une couronne franciscaine sur les tempes et la nuque. Les sourcils, eux, avaient démesurément poussé par compensation, plus noirs que jamais, avec de longs poils raides comme des soies, tandis que la moustache avait blanchi et prenait même par endroits une teinte jaunâtre. Il marchait courbé et traînait un peu ses larges pieds.

Le jeune homme, sans bouger réellement, se rapprocha intérieurement de son parrain. Il sentit qu’appuyés ainsi, s’étayant l’un l’autre, ils pourraient plus facilement soutenir le poids de leur chagrin.

Il dut avoir un geste qui laissait deviner sa pensée car monsieur Lacerte lui dit simplement :

— Tu sais, Michel, que tu peux compter sur moi. Je continuerai à faire pour toi ce que je pourrai. Tu vas rester à la banque, évidemment…

— Merci, monsieur Lacerte, merci !

Et pour voiler un peu leur commune douleur, il fit lui aussi l’effort de revenir au monde des vivants et des soucis quotidiens.

— La banque… vous savez, la banque, c’est bon pour apprendre les affaires. Mais je peux faire mieux que ça.