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HÉLÈNE ET MICHEL

près d’elle et qu’elle s’endormît, il se sentait subitement étreint par une immense et terrifiante solitude comme si ce corps qu’il avait sous les yeux et dont seules les narines battaient légèrement, n’eût été que le reflet de son souvenir, la matérialisation trompeuse de sa tendresse au lieu d’être la personne vivante de sa mère, du seul être au monde qu’il aimât désormais.

Un peu pour ne pas la tracasser, et beaucoup pour ménager un amour-propre qu’il ne s’avouait pas, il lui avait caché que Georgette et lui ne se voyaient plus. Et puis, il sentait sa mère reconnaissante de ce qu’elle croyait être un sacrifice à elle offert par l’amour filial de son Michel. De son côté il ne demandait pas mieux que de lui laisser ce contentement. En outre, cela lui évitait une explication qu’il eût été fort embarrassé de fournir.

En effet, sans un mot, sans une dispute, la jeune fille avait brusquement cessé de lui être accueillante. Vainement avait-il guetté son départ du bureau de poste ; elle variait ses heures de sortie. Une fois même, il avait cru la voir regarder à la fenêtre et se retirer brusquement en l’apercevant. De son bureau à lui, il avait plusieurs fois vu Jean-Marie Nodier, abrité contre le vent dans l’encoignure du vestibule amovible que l’on montait chaque hiver, battre la semelle en attendant Georgette.

Pour éviter que sa mère le questionnât à ce sujet, il ne rentra plus directement à la maison mais fit chaque beau jour une promenade d’une demi-heure. Il marchait par les rues de la ville, parmi les flaques d’eau où flottaient de vieux journaux et des boîtes de cigarettes, évitant les coins ombreux où une neige crasseuse se figeait encore et s’attardait. Il se donnait à lui-même le prétexte de sa santé. Parfois avec inquiétude en pensant à sa mère, parfois avec élan s’il pensait à son travail et à son avenir, parfois avec une rage trouble en pensant à son amie ; mais prenant grand soin de ne jamais passer devant la fenêtre d’où sa mère eût pu l’apercevoir toujours seul.

Le soir il s’asseyait sur le pied du lit où reposait Hélène. Il lui faisait gaîment le récit des événements du jour, ceux de la banque et ceux de la petite ville, lui disant ainsi le journal de l’endroit comme il lui lisait celui de Montréal. Il y avait même une espèce de feuilleton qui était le récit potinier des prouesses du nouveau maire.

Bien qu’elle eût le sommeil difficile, il arrivait à Hélène de s’assoupir au son monotone de la voix de Michel.

Le fils alors laissait doucement filer sa voix jusqu’à s’éteindre insensiblement.

Il écoutait respirer — si légèrement — cet être cher dont il ne se souvenait pas qu’elle eût été absente de lui ; celle qu’il avait toujours sentie à ses côtés, plus soyeuse qu’une épouse et plus indulgente aussi, plus