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LE POIDS DU JOUR

À Hélène, le printemps n’apporta rien de favorable.

Chaque mois du court hiver l’avait un peu plus étiolée. Elle n’avait encore que quarante-deux ans et pourtant elle vieillissait de semaine en semaine, de jour en jour et quasi d’heure en heure. Il arrivait à Michel de trouver le soir en sa mère une femme presque différente de celle qu’il avait embrassée le matin : les traits plus tirés, le regard moins vif, le sourire plus plombé. Elle semblait s’amenuiser, s’étrécir. Quelque chose sournoisement soutirait de ce corps un peu de sa vitalité. Toute fraîcheur l’avait quittée. Ses cheveux autrefois chatoyants s’étaient éteints. Dans son visage amaigri, sous les lèvres sans éclat, les râteliers trop blancs faisaient tache.

Elle n’avait jamais été grasse bien qu’elle eût toujours été de chair fleurie, mince de silhouette, ronde d’épaules et de poitrine ; mais elle était maintenant consumée. Michel la regardait par moments avec la surprise de la trouver si flétrie de corps et de mouvement. Du jour, elle passait la plupart des heures couchée. Elle vaquait pourtant encore aux travaux domestiques : ménage, repas, malgré les protestations de son fils qui pendant un temps lui avait même cherché de l’aide.

Et surtout, quand elle passait dans la cuisine, elle semblait à Michel douloureusement difforme. Car le visage était creux, les épaules caves, les jambes fondues ; alors que sous le peignoir défraîchi ou la robe de chambre en molleton rose, le ventre faisait une saillie perceptible. Elle paraissait enceinte, mais d’une grossesse anormale, comme si quelque sorcier eût jeté en elle le germe maléfique d’un monstre qui ne pouvait croître qu’en la dévorant.

Michel ne la quittait plus que pour aller à son travail. Il passait les longues heures du dimanche assis à ses pieds tandis qu’elle restait allongée sur un petit divan près de la fenêtre par où entrait l’or du soleil nouveau. Au début, elle avait mollement protesté, heureuse de l’avoir près d’elle et de ne pas être seule, mais craignant en même temps que ce sacrifice ne lui fût importun.

— Sors donc, mon Michel, sors donc un petit peu. Il fait si beau. Reste pas toujours à la maison. Je peux très bien m’arranger toute seule. Pourquoi est-ce que tu ne vas pas voir Georgette ? Elle va se plaindre que tu la négliges et être jalouse de moi.

— Laisse faire Georgette, maman. D’ailleurs il n’est pas nécessaire que je la voie tous les soirs ! Et puis j’ai toujours le temps de la voir après le bureau.

Il voulait rester près de sa mère. C’est qu’il sentait planer sur la maison le malheur que seule la présence constante d’un homme pouvait conjurer indéfiniment. Il avait l’impression, obscurément pénible, de voir sa tendre maman s’effacer graduellement du monde des choses tangibles. S’il était