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la sentinelle

Il était vêtu de nippes effrangées sans couleur et presque sans forme ; sa tête maigre était couverte d’un chapeau de paille d’où coulait une barbe blanche.

Le chauffeur lui cria :

— Eh ! Tonto ! Tengo aqui a un hombre. Que no es amirecano sino francès. Si, si, por la Madré de Dios. Es francès, de veras !

Je m’étais avancé un peu. De loin je vis le vieillard qui d’un geste large, un peu théâtral, soulevait son chapeau et le tenait brandi comme une accueillante bannière.

Je le rejoignis à la clôture qu’il n’avait pas quittée.

— Alors, c’est vrai ! Monsieur est Français ?

La voix était saisissante : très douce, musicale, fraîche même ; avec une pointe d’accent bordelais qui faisait doucement tinter les finales comme un écho ; une voix d’enfant sortait de cette barbe de vieillard comme une source fraîche sourd au pied d’un vieux mur.

— Mais oui, je suis Français. Français du Canada, mais Français tout de même.

— Alors, vous êtes Français ! Vous êtes Français !

La barrière poussée de la main s’écarta largement, l’autre main se tendait vers la mienne.

— Soyez le bienvenu, monsieur, et daignez honorer ma demeure de votre présence.

Il me laissa passer devant lui, chapeau bas. Je le saluai non sans formalisme, ne sachant que répondre.

J’entrai, si l’on peut dire, car de porte il n’y avait point. Ce n’était pas une maison, pas même une hutte ; à peine un abri. Les murs étaient de bambous joints par des lianes ; solides tout de même, ils entouraient un rectangle de terre battue. Dans un coin un vieux lit haut monté sur des pièces de fer et, à l’opposé, un vieux fourneau très simple. Au centre, une table