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la sentinelle

chemises de soie artificielle fabriquées dans le Dela­ware ! Quant au pâté central où chaque façade est une chambre à coucher ouverte sur le trottoir, merci !

Je passai un complet de toile, coiffai mon casque de paille et cherchai une voiture. J’en trouvai une qui dormait derrière la Douane, une vieille Chevrolet ouverte dont les coussins recouverts de nattes évoquaient quelque fraîcheur. Le chauffeur ronflait, un chapeau de feutre sur les yeux. Je le poussai.

— Tu es libre ?

Il poussa un soupir résigné :

— Si, senor.

— Te veux de l’air. Marche.

— Où ?

— Ça m’est égal. Deux heures. Et au tarif ! Mais il y aura pourboire.

Je m’étendis sur les coussins dont la paille un instant me rafraîchit… La voiture en marche, je respirai. Nous passâmes les quartiers du centre. De­vant un café interlope et trop connu le chauffeur ralentit :

— Vous voulez continuer, senor ?

— Marche, marche !

Bueno. Vamonos.

Bientôt ce furent de misérables cahutes où des enfants affichant tous les métissages imaginables se roulaient dans la poussière. Nous nous engageâmes, sans hâte, sur une route pavée qui pointait vers l’est.

Au bout de quelques minutes la forêt ouvrait sa gueule immense et nous entrions dans une ombre qui se referma sur nous. Je m’endormis, bercé par les secousses.

L’immobilité m’éveilla. La route était déserte. Le chauffeur descendu avait levé le capot et, le chapeau