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nocturne

pas non plus le garrot brutal du froid, qui n’était pas… Encore ?

Un rocher… un rocher… ! ! Il a touché quelque chose qui n’a pas cédé, qui a résisté, obstinément ; quelque chose qui… tient au sol. Il a touché quelque chose qui n’est pas de l’eau… Un autre… !

Et l’eau elle-même est… Oui ! elle est plus tiède. Il la sent tiède dans son cou et sur ses bras.

Devant lui une longue bande noire très basse, dentelée : les rochers de la côte. Et, juste au-dessous, la ligne blanche des vagues qui se brisent.

Nager… plus vite, plus fort. Allons, plus fort en­core… « Sainte Vierge !» … « Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec… » Un autre, et un autre, et un autre. Il peut appuyer. Soulevant ses jambes de plomb, il pose l’autre pied en avant et retrouve… Il sent cela qui résiste au poids de son corps ; et ce corps même, il le retrouve pesant d’une pesanteur qui n’est plus comme tout à l’heure en lui, mais hors de lui. Le ciel et l’air et les étoiles et le vent appuient sur sa tête, ses épaules, ses bras, le collent à cette pierre bénie à laquelle il ne peut croire.

Et, tout à coup, il perçoit un bruit nouveau : le ruissellement doux de l’eau qui sortant de ses vête­ments, de son corps, de son âme, tombe sur les cailloux du rivage.

La lumière de l’aurore fleurit le ciel et le jour va se lever. Il baisse les yeux et voit devant lui une pierre, un galet rond et doux.

Et se jetant à plat ventre, il l’embrasse à pleine bouche.