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sept jours


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À petits pas, elle atteignit le coin de la rue Pothier juste au moment où arrivait l’autobus, celui de Montréal ; elle dut s’arrêter pour le laisser passer et, ce faisant, y jeta un regard machinal. Tiens ! le voilà qui s’arrête.

Qui donc allait en descendre ? Sûrement pas un habitué, il lui fallait trop de temps ; et les habitués savent toujours se tenir près de la porte.

Ce fut le chauffeur qui descendit, tirant après lui une valise de cuir jaune, lourde et fatiguée. Puis apparut le voyageur, un homme jeune, cheveux noirs, complet bien taillé, souliers de fantaisie.

Il se retourna un moment, une pièce à la main, cherchant le chauffeur. Elle vit un nez pointu, qui n’était pas très séduisant ; mais les yeux étaient grands, lourds et chauds entre des paupières languides.

— Je ne vois pas l’Hôtel du Nord, dit-il au chauffeur.

— Dret en face, de l’autre côté de la rue.

— Ah ! oui, merci.

Pour prendre son sac, il dut faire face et son regard heurta la boulangère toujours immobile, s’arrêta sur son frais visage, glissa tout le long du corps, avec un arrêt à la poitrine qui s’était inconsciemment cambrée ; puis suivit la jambe pour s’arrêter au pied, inélégant dans les vieux souliers. Tout cela d’un coup d’œil rapide, effleuré.

L’étranger grimpa allègrement le perron de l’hôtel ; mais avant de tirer la porte grillagée, il se retourna un instant. Au même moment s’était aussi retournée la boulangère. Elle pensa : « Qu’est-ce que ce jeune homme peut bien venir faire à Saint-Julien ? »

Puis elle poursuivit son chemin.