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sept jours


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Madame Mongrain hésita un instant, puis tourna à gauche, s’éloignant à petits pas élastiques. De dos, on ne voyait plus que ses cheveux blonds réunis en un quignon comme de bon pain. Assurément, on en mangerait. Elle avait ce matin-là une robe fraîche, un imprimé : des hirondelles bleues sur fond blanc ; ou était-ce des oiseaux blancs sur un fond bleu ? Elle allait, sur le trottoir de brique rouge, et son petit derrière ondulait en un mouvement coquet ; pour personne, car il n’y avait personne dans la rue.

Un peu plus loin, cependant, elle croisa monsieur le Vicaire qui, bréviaire en main, faisait sa promenade quotidienne, de l’église au bureau de poste avec retour par le marché.

— Bonjour, madame Mongrain !

— Bonjour, monsieur l’abbé !

Une fois dépassé, monsieur le Vicaire se retourna. Tant de joliesse coquette le laissait quelque peu défiant. Sorti depuis six mois à peine du séminaire, il restait les oreilles pleines des recommandations précises et troublantes sur lesquelles s’était étendu le prédicateur de la dernière retraite. Sa mémoire gardait encore des chapitres entiers du Manuel du Confesseur et le village n’avait pas encore empreint son esprit de rustique placidité.

Jamais cependant madame Mongrain n’avait prêté à la médisance. Au début il s’était prudemment enquis : rien, pas la moindre calomnie. Madame Perreault, qui pourtant avait la dent venimeuse, n’avait pu faire allusion qu’à son évidente coquetterie ; mais monsieur le Curé avait eu la réponse juste : « Et pourquoi pas ? madame Perreault. Elle est jolie, c’est