Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.

128
le sacrilège

Toupaha, le capitaine, assis sur son escabeau, passablement ivre à force de cognac, regardait d’un air hébété, en faisant signe de la tête que non.

— Ne touche pas, tayo Mémané, je t’en prie, non, ne touche pas !

Lémann tourna vers son visiteur un regard de satisfaction inattendue.

— Ça ne rate jamais ! J’ai fait exprès. Je voulais vous montrer jusqu’à quel point il reste chez l’indigène des croyances anciennes. Ils sont intelligents pourtant, civilisés même, bien plus que… Mais c’est plus fort qu’eux. Même elle, et même Toupaha.

Il remit la lampe en place, vida par la fenêtre le cendrier qui était une large coquille d’huître perlière et alluma un autre cigare.

— Je vais vous raconter l’histoire de ce tiki et vous allez juger. C’est assez amusant, pour un Européen.

« Je suis allé le chercher dans le maraé, le vieil autel abandonné, dont les ruines se trouvent de l’autre côté, vis-à-vis Motou-Omé. Pour mon expédition j’avais pris un type d’ici, assez dégourdi. Il se croyait fort « désauvagé » depuis qu’il avait joué dans le film de Murnau, TAPOU, qui fut tourné justement à Vavaou qu’on appelle aussi Bora-Bora. Il se nomme Hopai. »

Dans son coin, Toupaha répéta comme un écho, d’une voix huileuse d’ivrogne, mais où il y avait quelque chose d’autre, indéfinissable :

— Hopai… ah oui !… Hopai… il est parti. Faré oé, Hopai,… adieu,… faré oé !

— Tu as connu Hopai, toi, bien sûr.

— Hopai ?… ah oui !… faré oé, Hopai.

— Bon. J’avais dit à Hopai que je voulais faire une excursion autour de l’île et il ne demandait pas mieux. Il avait une bonne pirogue. À midi nous étions en