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le sacrilège

elle en avait vraiment la noblesse de traits et d’attitude, portait tout simplement un paréo rouge à ramages, noué à la ceinture et qui laissait découverte la poitrine, une poitrine admirable de déesse grecque. Comme bijou, un seul : un collier de pièces triangulaires qui étaient des dents de requin.

— Cigare ou cigarette ?

Lémann tira vers lui un plateau de bois sculpté ; il y avait des verres, trois bouteilles, une boîte de cigares, des cigarettes.

La vahiné avait repris sa place, accroupie aux pieds du maître et se roulait adroitement, d’une main, une cigarette de feuille de pandanus. Le silence se fit. Personne ne disait rien et ce silence qui partout ailleurs eût paru étrange et lourd était ici savoureux et normal.

Bernier, après un long moment, crut cependant devoir entamer la conversation.

— Vous vous plaisez à Vavaou ?

Lémann s’arrêta de boire et le regarda ; et sa réponse eût paru grossière si elle n’eut si naturellement jailli :

— En voilà une question !

Il se versa un nouveau verre de cognac et passa la bouteille à Toupaha qui accepta sans mot dire.

— Je suis bien, à Vaitapé ; pour le temps que j’y suis. Ici ou ailleurs… Quand je partirai d’ici, ça me sera bien égal. Je n’ai rien qui me retient.

Bernier regarda instinctivement la femme qui, assise sur ses talons, regardait dans le vague. Il attendait un geste, un sursaut, une hésitation de ses lèvres. Elle n’avait point bronché. Elle avait levé les yeux simplement et avait regardé Lémann d’abord, puis le capitaine ; et avait souri. Sans doute n’avait-elle pas compris.