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l’étranger

« — C’est un vrai fils de l’Iran, du pays du Lion et du Soleil, dit-il d’une voix adoucie et très basse que je ne lui connaissais pas, d’une voix qui ne parlait qu’à lui-même. Il a grandi sans rien savoir de leur civilisation à laquelle trop des nôtres se laissent aller. C’est un méchédi, maintenant ; il a fait, l’an dernier, son pèlerinage au tombeau de Réza le Saint. Plus tard il deviendra quelqu’un, quelqu’un de grand… qui sait, peut-être…

« Impatienté je l’interrompis brutalement :

« — S’il ne sait pas déjà, il faudra bien qu’il sache, que tu lui dises…

« — Tais-toi, cria-t-il avec une subite explosion de violence, et me tutoyant pour la première fois. « Voilà ce qui me torture. Jamais je n’avouerai, à lui que j’ai élevé dans l’exécration de l’étranger, que son père fut un de ces farenghis qu’il veut chasser de notre Iran. Mais j’y pense parfois et j’ai peur. Tu ne peux pas savoir !

« Et maintenant, allez-vous-en. Vous avez voulu savoir. Vous avez su. Il n’y a plus rien entre vous et moi, entre vous tous, Occidentaux, entre vous tous, farenghis, et l’Asiatique, oui, l’Asiatique, et le croyant que je suis. Je sens que je suis guéri, désormais, bien guéri. Je vous hais tous, entendez-vous, tous. Allez-vous-en. »

« Brusquement il s’était tourné vers le mur. Un instant encore je regardai sa silhouette que l’ombre faisait confuse ; la longue robe sombre, le kahlian qui semblait quelque appareil magique, et la barbe de nuit qui donnait à sa forme un air de nécromant. Qu’y avait-il devant moi qui ne fût pas étranger ? Je partis, sans un mot.