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l’étranger

distribue gratuitement la fièvre et libéralement la vermine. Qui n’a pas senti les foules orientales ne connaît pas ce que sont la crasse et la putridité ; j’aime mieux ta salle de dissection. Sans doute tout ce joli monde attend-il un nouveau déluge qui seul les peut décrasser. La plupart passent béatement le temps à fumer avec des yeux de carpe écoutant un solo de saxophone, ou à chanter, en se balançant sur les fesses, des versets du Coran jusqu’à ce qu’il soit l’heure d’aller dormir. »

« Je viens de réintégrer ma sordide chambre d’auberge pour y changer de vêtements. Je pue. Revenant d’une promenade aux fameux « souks », je me suis copieusement fait… arroser par des petits arabes qui, grimpés sur les terrasses des masures, s’adonnent à ce sport charmant sur tous les étrangers qui leur passent sous… la main. »

« Un camarade de hasard veut m’entraîner vers les roses d’Ispahan et de Chiraz ! Comme si je n’en savais pas assez sur l’Orient pour en être à tout jamais dégoûté. Vivement Paris et même, le croiras-tu, Montréal ! »

(Dalbret remit la lettre dans le tiroir.)

« Ce fut la dernière fois que j’eus de ses nouvelles. En octobre il n’était pas de retour. Six mois plus tard, j’apprenais que sa mère affolée ignorait encore ce qu’il était devenu. Le testament paternel le laissait maître de sa fortune ; un jour était venu l’ordre de la réaliser et de la transporter chez un banquier de Londres, ordre écrit de sa main, très bref, sans commentaire ni explication. Il ajoutait simplement de ne pas s’inquiéter, que tout allait bien, qu’il donnerait de ses nouvelles plus tard. Il n’y avait d’adresse que celle de son banquier, par l’entremise de qui était venue l’étrange nouvelle.