Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.

105
l’étranger

et une application sans fantaisie. Il semblait décidément se ranger, se normaliser.

« Nous nous voyions ainsi constamment et occupions même des chambres voisines. Il ne parlait de rien et l’on pouvait croire qu’il avait oublié ses projets d’enfant. Par curiosité j’y fis quelque allusion dont il se contenta de sourire ; car il avait gardé la même dis­crétion. Mais l’année terminée, fin mai, il m’annonça calmement — avec un sourire — qu’il partait passer ses vacances en Europe, « en passant par la Chine naturellement. » Il serait là pour la reprise des cours ?… Assurément.

« Et je ne le revis plus.

« De lui me parvinrent quelques cartes postales et deux lettres. La première, de Shanghai. Il m’y faisait part de son étonnement amusé devant le spectacle oriental. Quant à la dernière, elle était de Bassora. Attendez un instant… La voilà… non… ah ! voilà… ! »

Dalbret fouillait un tiroir et en sortit une vieille lettre.

« … je suis… » Bon, nous y sommes : « …Avoir rêvé autrefois de palais féeriques, d’admirables formes voilées se glissant dans l’ombre chaude des kasbahs et de la voix poignante du muezzin à travers le ciel pur ! Et trouver des murs sans fenêtres, en brique d’un rouge malade au pied baignant dans les immondices ; le long desquels passent des houris bigles dont le sillage fait se boucher les nez ! Être éveillé à des heures impossibles par les hurlements nasillards d’un énergumène perché sur un minaret en voie d’écroulement ! Quelle désillusion ! Quelle chute !… » … « Bassora est un dépotoir étalé autour d’une mare croupie qui est un ancien canal transformé en égout. On y vend des dattes, des tapis et de l’essence de roses dont la seule odeur me fait maintenant vomir. En revanche on y