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sortaient la nuit de leurs cabanes, et contemplaient en silence le ciel haut et éternellement calme ; et le jour on pouvait voir au dos des kourgans apparaître des silhouettes qui, dans leur attente immobile, se détachaient des lointains. Ces kourgans sont des tombeaux de races disparues qui parcourent toute la steppe comme une ondulation figée et endormie. Et dans ce pays dans lequel les tombeaux sont des montagnes, les hommes sont les abîmes. Profonds, obscurs et silencieux sont les indigènes, et leurs paroles ne sont que des ponts fragiles et oscillants, suspendus au-dessus de leur être véritable.

Parfois de sombres oiseaux s’élèvent des kourgans. Parfois de sauvages chansons descendent dans ces hommes pleins de pénombre, et disparaissent en eux, profondément, tandis que les oiseaux se perdent dans le ciel. Dans toutes les directions tout semble sans limites. Les maisons elles-mêmes ne peuvent prêter d’abri contre cette immensité ; leurs petites fenêtres en sont combles. Seules, dans les angles sombres des chambres, les vieilles icones sont debout comme des bornes kilométriques