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Durant les derniers jours, il avait souvent amèrement déploré qu’il portât encore en lui une foule de chansons et qu’il n’eût plus le temps de les communiquer à son fils. Il était couché là, le front sillonné de rides profondes, tout à sa méditation tendue et anxieuse, et son attente faisait trembler ses lèvres. De temps en temps il se redressait, hochait un peu la tête, remuait les lèvres, et enfin venait une petite chanson douce ; mais à présent il chantait le plus souvent les mêmes strophes de Djuk Stepanovitch, qu’il aimait surtout, et, pour ne pas le fâcher, son fils devait paraître étonné et feindre de les entendre pour la première fois.

Lorsque le vieux Timofei Ivanitch fut mort, la maison que Jegor habitait seul, resta fermée pendant quelque temps encore. Puis, au printemps suivant, Jegor Timofeivitch, qui portait déjà une barbe assez longue, parut à sa porte, et commença d’aller et venir dans le village, et de chanter. Plus tard, il se rendit aussi dans les villages voisins, et les paysans