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sa tête blanche, et faisait : Non, non ! jusqu’à ce qu’il s’endormît, — et puis encore une fois : non, dans son sommeil.

Il eût volontiers fait ce plaisir aux jeunes gens ; il regrettait lui-même que la poussière muette de son corps dût bientôt reposer sur ses chansons, peut-être dans très peu de temps. Mais s’il avait essayé de leur en enseigner une, il se serait sans doute souvenu de son Jegorouchka, et puis qui sait ce qui serait arrivé. Car, c’est seulement parce qu’il se taisait toujours, que jamais on ne l’avait entendu pleurer. Derrière chaque mot veillait un sanglot, et il devait toujours fermer la bouche, vite et doucement, pour qu’il ne s’échappât en même temps.

Le vieux Timofei, depuis très longtemps déjà, avait enseigné à son fils quelques chansons, et à l’âge de quinze ans celui-ci en savait plus long et chantait plus juste que tous les hommes du village et des environs. Néanmoins, le vieux disait à son fils, les jours de fête, lorsqu’il était un peu ivre :

— Jegorouchka, ma colombe, je t’ai déjà enseigné beaucoup de chansons, beaucoup de bylins, et aussi les légendes des saints, une