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qu’offrent les chopsticks, on s’habitue à ces instruments ; mais la quantité des plats et leur composition effraient un estomac européen. On nous a servi au moins dix entrées et une multitude de mets dont vous chercheriez vainement la recette dans le Cuisinier royal. D’abord, la fameuse soupe faite avec des nids d’hirondelles de mer, puis des étuvées d’œufs de pigeons, des fricassées de grenouilles, des vers séchés, des chenilles salées, des nerfs de cerfs au riz, des ailerons de requin, assaisonnés avec du soya de Japon ou essence de cloporte, des faisans, des perdrix, tout cela découpé par petits morceaux, et servi dans des soucoupes de porcelaine ; enfin, pour dessert, une prodigieuse quantité de sucreries, de pâtisseries et de confitures délicieuses. Malgré les invitations réitérées de mon hôte, j’ai mangé le moins possible, et bien m’en a pris. Si mon appétit avait été de force à lutter avec celui des autres convives, on aurait appris le lendemain qu’un missionnaire européen était mort en Chine, non point comme un glorieux martyr, mais victime d’une indigestion. Pendant le dîner, on nous a servi à profusion du sei-king, espèce de liqueur assez agréable, du comchou, breuvage fermenté qu’on boit dans de petites tasses, et une espèce de vin chinois très-faible, et chauffé de manière à le rendre brûlant. Chaque fois qu’on porte une santé, et cela arrive fréquemment, on prend sa tasse à deux mains en faisant tchin-chin, c’est-à-dire en restant quelque temps vis-à-vis l’un de l’autre en branlant la tête, puis on boit, et on montre le fond de la coupe vide. Cet usage, qui existe chez plusieurs peuples de l’Europe, est ennuyeux, mais il n’est pas ridicule. Là se borne tout le cérémonial. N’ajoutez donc point foi à tous les contes du P. du Halde et de Salmon ; ces révérends pères ont été dupes de quelques mauvais plaisants. Ils prétendent, vous le savez, que les Chinois ne mangent qu’en cadence et en obéissant au signal de l’amphitryon. Je puis vous assurer qu’on est fort libre à la table d’un mandarin, et