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cependant je le crois innocent, mais du moins pour sa femme et son enfant. J’en appelle à votre justice. Chun oublierait-il les préceptes du grand Yao ?

L’Empereur, tout ému, releva le vieux mandarin ; et, sans prononcer une seule parole, lui montra du doigt la porte de sortie. Fang-tsi, les yeux baignés de larmes, s’inclina et suivit ses collègues. Chun, accablé de douleur, se jeta sur le banc royal, fait d’un bois précieux tiré de la province de King. Il leva les mains au ciel ; et, regardant d’un air triste et irrité tout à la fois son fidèle conseiller qui venait de rentrer :

— Eh bien, Yu, pouvais-tu croire à tant de lâcheté ? Sur cent amis, cinq ou six à peine ont osé le défendre, et parmi ses accusateurs, se trouvent deux de ses collègues eux-mêmes !

— C’est une triste expérience, répondit le mandarin. Mais pourquoi s’étonner ? L’homme vicieux ne connaît que son intérêt ; en ce moment, il ne songe qu’à la dépouille de Koueï.

— Le réveil sera terrible : j’en jure par le nom sacré de Louï-tseu[1], je ferai bonne et sévère justice des hommes pervers qui condamnent l’innocent avant de l’avoir entendu. Mais je veux encore différer ma colère.

Le bruit de la disgrâce de Koueï se répandit bientôt dans la ville. Les méchants, les ambitieux, les envieux se réjouirent de cette grande infortune ; les honnêtes gens, ayant à leur tête le mandarin Fang-tsi, accompagnèrent le surintendant jusqu’à la prison impériale et revinrent adresser à sa famille des paroles de consolation. Les premiers redoublaient leurs calomnies contre Koueï et vantaient à haute voix la prudence du souverain ; les autres invo-

  1. Louï-lseu, femme de Hoang-ti, l’un des premiers empereurs de la Chine, enseigna, dit-on, au peuple l’art d’élever les vers à soie et celui de filer leur produit pour faire des vêtements. Elle est honorée sous le nom d’esprit des mûriers et des vers à soie.