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Ce jugement excita un grand étonnement. Un des mandarins les plus distingués s’approcha du magistrat à l’issue de l’audience, et lui dit :

— Lorsque je suis entré en charge, vous m’avez surtout recommandé de faire respecter l’autorité paternelle. « Tout fils, avez-vous ajouté, qui manque à son père, mérite la mort. Cette doctrine nous a été transmise par les sages empereurs de l’antiquité ; il ne faut pas la laisser tomber dans l’oubli. » Et voilà qu’au mépris de cette instruction vous faites grâce à un fils criminel !

Le juge se leva ; et, répondant au mandarin, il s’exprima ainsi devant, la multitude :

« J’ai voulu en cette circonstance donner une leçon à beaucoup de monde : aux enfants, qui n’ont pas pour leurs père et mère tout le respect qui leur est dû ; aux parents, qui n’ont pas soin d’instruire leurs enfants de leurs devoirs et obligations ; enfin aux magistrats, pour qu’ils ne se pressent pas de porter leur jugement sur des accusations dictées par la colère ou par toute autre passion. Que serait-il arrivé si j’avais condamné aussitôt le fils ? J’aurais fait le malheur de toute une famille, j’aurais mis à mort, un innocent ! Écoutez bien ceci. Un juge qui punirait indistinctement tous ceux qui paraissent avoir violé la loi, ne serait pas moins cruel qu’un général qui passerait au fil de l’épée tous les habitants d’une ville prise d’assaut. Parmi le peuple, tel qui faillit n’est souvent coupable qu’à demi, et parfois même nullement répréhensible, parce qu’il ignore ses devoirs ; le punir, dans ce cas, ce serait châtier un innocent. Ceux qui méritent une punition sévère, ce sont les grands quand ils donnent de mauvais exemples ; ce sont les magistrats qui n’instruisent pas le peuple et qui ne remplissent pas bien leurs fonctions. User d’indulgence envers ceux-ci, et agir avec rigueur envers le peuple, c’est être injuste. Un de nos anciens sages a dit : « Punissez, mettez à mort les coupables ; mais rappe-