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trois autres portes de n’ouvrir à personne, pas même à l’Empereur ; mais quand le premier auquel on s’adressa eut aperçu, à la lueur des torches, le parasol impérial jaune-aurore, surmonté du dragon d’or, il n’osa pas résister, et la porte fut ouverte. On dit même que soupçonnant la disgrâce prochaine du premier ministre, il avait été bien aise de faire ainsi la cour à ses ennemis en lui désobéissant.

Tous ceux qui détestaient Lieou, et le nombre en était grand, car, en Chine comme en Europe, le talent et la vertu ne trouvent malheureusement que trop de persécuteurs, tous les mandarins qui avaient été punis de leur mauvaise conduite ou qui redoutaient un châtiment mérité, étaient en grande joie. L’Empereur, en rentrant au palais, avait manifesté sa colère contre Lieou, et il était évident que dès le lendemain le rigide ministre serait, disgracié. Aussi la foule était-elle immense à l’audience de l’Empereur. Dès que le petit bossu entra dans la salle, tous les regards se tournèrent vers lui. Calme et résigné comme un homme qui a la conscience d’avoir fait son devoir, il alla prendre sa place accoutumée sans remarquer la douleur de ses amis, ni la joie de ses adversaires. En apercevant Lieou le prince fronça légèrement le sourcil, mais il ne dit rien et répondit par un salut, de la main au respectueux prosternement (kow-tow) du ministre. Tout le reste de l’audience, il parut vivement préoccupé : punirait-il Lieou d’avoir fait observer aussi rigoureusement les règlements, ou bien, satisfaisant son orgueil offensé, se priverait-il des services de l’homme qui gouvernait son royaume avec tant d’éclat ? Tel était le combat que se livraient dans son esprit le sentiment de la justice et l’amour-propre blessé : la cour en attendait l’issue avec impatience. L’audience allait finir, et l’Empereur n’avait pas adressé une seule fois la parole à Lieou, lorsque celui-ci s’avança vers le trône.