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L’embarcation s’approchait en même temps de la boutique du marchand de poissons, et l’homme qui avait parlé le premier et dont les vêtements annonçaient un homme de distinction, lut à haute voix sur l’enseigne : Lieou, beaux poissons de toute espèce. Au-dessous était la phrase sacramentelle : Pu hu, c’est-à-dire, il ne vous trompera, pas.

Lieou crut que ces personnages étaient des acheteurs, et il se mit à vanter sa marchandise :

— Achetez, illustres seigneurs, achetez, s’écriait-il. Nulle part vous n’aurez du poisson aussi beau et aussi frais. Vous en trouverez chez Lieou de toute espèce depuis le canard sauvage nourri avec de la courge, jusqu’au kin-yu, ce beau poisson d’or qui fait l’ornement des palais de l’Empereur.

Mais l’inconnu, après avoir écrit quelques mots sur ses tablettes, fit signe aux gondoliers de continuer leur route, non sans jeter des regards de curiosité sur l’honnête pêcheur. Celui-ci, assez étonné d’abord de cette démarche mystérieuse, finit par se tranquilliser en se rappelant qu’il n’avait aucun démêlé avec la police, qu’il ne se connaissait pas d’ennemis et que les hommes de la gondole n’avaient nullement l’air de voleurs. Là-dessus il prit ses rames et s’éloigna rapidement.


Il est dix heures du matin. Lieou, qui vient de prendre quelque repos, arrange avec soin sur des herbes mouillées le poisson qu’il a rapporté de sa course nocturne. Il chante gaiment, suivant sa coutume, en calculant dans sa tête ce qu’il peut retirer du produit de sa pêche. Tout à coup sa figure se rembrunit ; il cesse de chanter. C’est qu’il aperçoit sur le canal, à quelques pas de lui, la gondole de la veille. Les deux inconnus le regardent avec attention en consultant un papier, et l’un d’eux s’écrie de nouveau :

— Oui, c’est lui. — C’est bien lui.