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gardaient comme un homme de bon conseil. Aussi vivait-il heureux dans son humble condition, acceptant le temps comme il venait et ne songeant qu’à augmenter son petit avoir.

La nuit approchait et déjà la lune scintillait sur les toits vernissés de la ville. De riches gondoles se croisaient en tous sens sur les canaux ; chacun venait chercher un peu de fraîcheur après une journée d’une chaleur accablante. Sur les barques qui, dans beaucoup de villes de la Chine, servent d’habitation aux pauvres, on voyait une multitude immense, étendue nonchalamment et fumant avec délices en contemplant le magnifique panorama de Sou-Tcheou. Lieou seul ne se reposait pas. Il disposait en chantant une petite barque pour une sorte de pèche fort usitée dans le pays.

— Le ciel est pur et la lune brillante, disait-il de temps en temps. Allons, la nuit sera profitable.

Et il reprenait, gaiment sa chanson.

La pêche nocturne à laquelle Lieou se préparait est assez singulière ; elle ne peut ; avoir lieu que lorsqu’il fait, un beau clair de lune. On attache des deux côtés d’un bateau long et étroit une planche large d’environ deux pieds et qui tient toute la longueur de la barque. Cette planche, peinte en blanc et vernissée avec soin, s’abaisse par une pente presque imperceptible jusqu’à la superficie de l’eau. Le poisson, qui se joue au clair de la lune, prend la couleur de la planche pour celle de l’eau même, et trompé par cette ressemblance il saute dans la barque.

Le petit bossu venait de terminer ses préparatifs et il allait prendre le large, lorsqu’un cri partit d’une gondole richement ornée qui passait devant, sa barque.

— C’est lui ! — C’est bien lui !

— Maudit portrait ! dit un des hommes qui montaient la gondole ; je l’ai oublié. Comment s’assurer de la ressemblance ? Il faut attendre à demain.