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XIV
AVERTISSEMENT.

s’agit de neuro-pathologie, à examiner les malades nus toutes les fois que des circonstances d’ordre moral ne s’y opposeront pas. »

« En réalité, Messieurs, nous autres médecins, nous devrions connaître le nu aussi bien et même mieux que les peintres ne le connaissent. Un défaut de dessin chez le peintre et le sculpteur, c’est grave, sans doute, au point de vue de l’art, mais en somme cela n’a pas, au point de vue pratique, des conséquences majeures. Mais que diriez-vous d’un médecin ou d’un chirurgien qui prendrait, ainsi que cela arrive trop souvent, une saillie, un relief normal pour une déformation ou inversement ? Pardonnez-moi cette digression, qui suffira peut-être pour faire ressortir une fois de plus la nécessité pour le médecin comme pour le chirurgien d’attacher une grande importance à l’étude médico-chirurgicale du nu[1]. »

Pour tirer profit de l’examen du nu pathologique, il est donc de toute nécessité de bien connaître le nu normal. Or c’est là une étude quelque peu négligée par les médecins. Il existe parmi nous, il faut bien le dire, une sorte de préjugé qui nous fait considérer l’anatomie des formes comme une science élémentaire qu’on abandonne volontiers aux artistes et que le médecin connaît toujours assez.

L’anatomiste, en effet, qui a longtemps fréquenté les amphithéâtres, dont le scalpel a fouillé le cadavre dans tous les sens, au dehors comme au dedans, sans négliger le plus mince organe, la plus petite fibre, peut se figurer, avec une apparence de raison, qu’une telle somme de connaissances anatomiques renferme implicitement celle des formes extérieures, et qu’il doit connaître la morphologie humaine sans l’avoir spécialement apprise, comme par surcroît. C’est là cependant une illusion. Nous avons vu des anatomistes fort distingués se trouver très embarrassés en présence du nu vivant et chercher inutilement dans leurs souvenirs la raison anatomique de certaines formes imprévues bien que parfaitement normales.

La chose est en somme facile à comprendre ; l’étude du cadavre ne peut donner ce qu’elle n’a pas. La dissection qui nous montre tous les ressorts cachés de la machine humaine, ne le fait qu’à la condition d’en détruire les formes extérieures. La mort elle-même, dès les premières heures, inaugure la dissolution finale, et, par les modifications intimes qui se produisent alors dans tous les tissus, en altère profondément les apparences extérieures. Enfin, ce n’est pas sur le cadavre inerte

  1. Leçon du mardi 30 oct. 1888. 2e année, p. 21.