Page:Richepin - Mes paradis, 1894, 2e mille.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
LES ÎLES D’OR

Besoin de tous ; où, si le plus humble manquait,
Il manquerait à tous les autres ; ô banquet
À la porte duquel on ne dit pas « qui vive »,
Un plat nouveau s’offrant dans tout nouveau convive ;
Ô vrai banquet d’amour où, du grand au petit,
Chacun boit à sa soif, mange à son appétit,
Sans vœu d’égalité, sans souci de justice,
Sans qu’un commun niveau lâchement aplatisse
Les plus sublimes fronts pour complaire aux plus bas,
Mais ceux-ci les premiers, eux, ne le voulant pas,
Puisque le beau, le bien, la grâce, le génie,
Sont un régal dont tout le monde communie ;
Ô banquet où les cœurs, purs des vieilles rancœurs,
Seront le pain des cœurs, seront le vin des cœurs ;
Ô banquet lumineux, glorieux, gai, prospère,
Saint, libre, humain, divin, bon même à qui l’espère,
Idéal même à ceux qui s’y viendront asseoir ;
Ô banquet qui n’es pas encore pour ce soir,
Ni pour demain, ni pour après-demain sans doute,
Et dont parfois, perdant courage, je redoute
Que la cloche se brise et ne tinte jamais ;
Île d’or dont toujours fondent les bleus sommets
Dès que j’ai jeté l’ancre en l’une de tes criques ;
Ô la plus chimérique entre les chimériques ;
Ô brume évaporée au moindre vague vent,
Si volatile, si douteuse, que souvent