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LES ÎLES D’OR

La forme aux yeux sereins, la musique aux yeux fous,
Vous tiennent là, pâmés, subjugués, hors de vous,
Et quand de tous vos cœurs, l’humble avec le superbe,
L’enthousiasme enfin ne fait plus qu’une gerbe
De vaincus s’avouant vaincus sans déshonneur
Et qui choit d’elle-même aux pieds du moissonneur ?
En voulez-vous alors à celui qui vous dompte ?
De vos droits et des siens établissant le compte,
Qui de vous contre lui se dresse en révolté
Au nom de la justice et de l’égalité ?
Qui de vous le proclame usurpateur ? Personne.
Car c’est en embrassant le blé qu’il le moissonne,
Ce tendre maître, et loin de vous croire opprimés
Par son étreinte qui vous aime, vous l’aimez.
Aimez ainsi tous ceux en qui fleurit le charme !
Que son doux et magique effluve vous désarme
Du triste orgueil qui veut partout voir des rivaux !
Ne dites point : « Je suis un homme ; donc j’en vaux
« Un autre ; donc je hais celui-là, s’il me mène ;
« Il me vole ma part de la noblesse humaine. »
Il vous donne plutôt la sienne, ô pauvres gens.
Il en est riche, et vous en êtes indigents,
De ce bien. C’est peut-être abominable, inique.
Qu’y faire ? Au moins souffrez qu’il vous le communique
Et ne le garde pas pour lui seul, son trésor.
Vers le beau, vers le bon, trop faible est votre essor ;