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MES PARADIS

Ô résurrection de la vieille nouvelle,
Si vieille, et que toujours il faut qu’on leur révèle
À ces âmes toujours la tenant en oubli !
Ô radieux Amour dont le monde est rempli,
Amour dont les splendeurs, cependant éternelles,
Ont tant de peine à luire en leurs mornes prunelles
À ces aveugles, qui le sentent deux à deux
Sans, dès qu’ils sont en tas, le voir au milieu d’eux !
Car c’est lui, cet Amour, lui-même, que je prône,
Celui, quand on est deux, qui met l’un sur un trône
Et l’autre en un servage aimable à l’asservi,
L’autre et l’un s’y plaisant, se louant à l’envi,
Celui-ci d’être roi, celui-là d’être esclave.
C’est que l’esclave ici n’a point la face hâve,
Le cœur gros, des filets de bile en ses yeux creux.
Il a le cœur allègre et les regards heureux.
Pour l’idole adorée et qu’il juge parfaite
Toute abnégation lui devient une fête.
Plus elle lui demande et plus il est content.
Son front ne veut jamais fuir le joug ; il s’y tend
Et le porte comme un diadème de roses.
Il ne vous connaît pas, comparaisons moroses
Qui dilacérez l’âme en livides lambeaux
À se constater laid quand les autres sont beaux,
Faible quand ils sont forts, pauvre quand ils sont riches,
Au joueur qui le gagne il ne dit pas : « Tu triches. »