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MES PARADIS


On y dort l’effroyable et suave moment
De percevoir dans la blancheur immarcescible
Que l’Abstrait contemplé comme le reste ment,

Que le monde est ensemble et sa flèche et sa cible,
Que c’est de l’infini cherchant dans du fini
Sa conscience au fond d’un coït non possible,

Et qu’il s’en désespère et qu’il en est puni,
Et qu’on est un des pleurs vivants par lesquels pleure
Son éternel Eli lamma sabacthani.

Mais ce pleur que l’on est, qui coule, pendant l’heure
Où dans le blanc palais de glace on va rêvant,
Ce pleur, il ne ment pas, lui, ce n’est pas un leurre.

Spectres, ce pleur, c’est moi, moi, qui suis un vivant.
Oh ! rien que pour sentir dans ce néant mon être,
Au palais de l’Abstrait je reviendrai souvent,

Me refaisant le monstre enflé de tout connaître,
Le fils de la Chimère et du Sphinx, le cerveau
Dévoré par lui-même et qui meurt à renaître,