Page:Richepin - Mes paradis, 1894, 2e mille.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
MES PARADIS

En humant cette absinthe en deuil d’où le miel filtre,
Tes vers amers, ô grand Lucrèce, le noir philtre
Dans lequel une femme a noyé ta raison,
Il me semble à mon tour en flairer le poison,
Qu’a fait cuire à Suburre en sa verte bassine
Une Thessalienne à gueule d’assassine,
Pendant que sous les coups de son fouet vipérin
Vrombissait le sabot fait d’un magique airain.
Honte à la vieille ! Honte à l’amante perverse !
Ô quatrains de Khéyam ! Quel vin d’or il me verse,
Cet ivrogne subtil, fougueux et souriant !
J’y bois tout le soleil. J’y bois tout l’Orient.
« Faites, faites, dit-il, de ma cendre une argile ;
« Qu’on la donne au potier ; que sur sa roue agile
« Il la façonne en jarre, et ce ventre divin
« Emplissez-le de vin, de vin, de vin, de vin ! »
Oh ! de quels vins je suis aussi la jarre pleine ?
De tant de vins, tant, tant, que je perdrais haleine
À vouloir essayer d’en citer tous les noms.
Ô pauvre papier blanc, si nous l’entreprenons,
Tu deviendras un noir catalogue, où défile,
Au gré du bouquiniste et du bibliophile,
Pêle-mêle, un ramas de classiques, grognons
D’être classés à la venvole en rang d’oignons.
Chers amis, bons amis, je me ferais un crime
De piquer là vos noms au crochet de la rime.