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LES ÎLES D’OR

Lui, comme une églantine ouverte, tend sa bouche.
Et sitôt que la rose à l’églantine touche,
C’en est fini des cris, des pleurs, des grands chagrins.
La mère, le couvant de ses regards sereins,
Lui verse avec son lait l’oubli. Son souffle calme
S’épand dans l’air ainsi qu’au rythme d’une palme
Et chasse, en l’éventant d’un mouvement léger,
Tous ces noirs papillons qu’il sentait voltiger
Confusément autour de lui d’une aile obscure.
Ah ! maintenant, ni d’eux, ni de rien il n’a cure.
Il est tout au bonheur qu’il boit béatement.
Ses yeux levés et doux sont en plein firmament
À contempler les yeux de sa mère. Il se presse
Contre elle. Ses doigts lents, à la vague caresse,
Vont, viennent, sur le sein élastique et neigeux,
Et semblent y frôler, pour les mystiques jeux
D’un ballet d’anges dans les célestes concordes,
Une harpe de rêve aux invisibles cordes.
Et rien, ni le profond délire de l’amant
Lorsque l’aimée et lui se fondent ardemment
Dans le baiser qui fait de deux êtres un être,
Ni la voluptueuse ivresse qui pénètre
Une vieille dévote attablée au saint lieu,
Sentant son corps s’unir au corps même de Dieu,
Ni le ravissement d’un saint dont les prunelles
Voient déjà resplendir les lampes éternelles