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LES ÎLES D’OR

Souviens-toi, si tu peux : leur plus suave appas
Était fait de ceci, qu’on ne les sentait pas.
C’est agir en sorcier d’artifice équivoque,
Que de prêter un verbe à ces morts qu’on évoque,
Eux qui, lorsqu’ils naissaient sous la splendeur des cieux,
Avaient pour plus grand bien d’être silencieux.
N’importe ! J’essaierai de vous faire revivre,
Pâles figures des premiers feuillets du livre.
Ah ! combien vous m’aimiez, combien je vous aimais,
Je ne le savais pas, je le sais désormais.
Pardon, si mon désir d’après coup vous offense !
Mais je veux vous revoir, îles d’or de l’enfance ;
Vous voir, plutôt ; on est aveugle en y passant ;
Tout l’heureux qu’on y fut, c’est plus tard qu’on le sent.
Eh bien ! l’enfant d’alors, que l’homme ici l’exprime !
Et réapparaissez ! Si c’est folie ou crime
De le vouloir, tant pis ! Mais je le veux. Venez !
Ne craignez pas d’ailleurs vos restes profanés
Par ce viol de tombe où mon cœur se décide.
Je chercherai des mots en gaze translucide,
Ô fantômes chéris, et vous en vêtirai
Avec la main pieuse et le zèle sacré
D’un vieux prêtre naïf aux gestes symboliques
Qui s’incline à l’autel en baisant des reliques.