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LES ÎLES D’OR


On les prenait à bras le corps comme des gouges.
Nos crocs à leurs cous blancs mettaient des colliers rouges.

Tels que les chiens fouillant des ongles et du nez,
On leur mangeait la viande à même, en forcenés.

Puis on faisait des feux de joie avec leur graisse,
Et l’on dansait autour, jeunesse à l’air d’ogresse.

On dansait en riant des colosses vaincus,
En traitant les grands ours de veaux et de vieux culs.

On dansait sans songer aux ans, à leur manège,
Et qu’on aurait aussi le poil couleur de neige.

On dansait les pieds nus, trouvant doux les glaçons,
Et l’on improvisait de féroces chansons.

Victoire ! À mort les vieux ! Hurrah ! Noce et ripaille !
Place aux jeunes ! Les ours d’antan, qu’on les empaille !

Gloire au pôle ! Qui va le découvrir ? C’est nous.
Et l’on dansait toujours, du sang jusqu’aux genoux.

Qui ça ? Nous ! Avoir froid ! Pas froides, ces banquises !
On y dansait à poil comme aux îles Marquises.