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LES CARESSES

Et le rossignol roux, cette âme des ramures,
Accompagnent aux sons d’un orchestre enivrant
Les doux mots qu’on chuchote et les baisers qu’on prend.
Ce n’est pas là, sous les sourires de l’aurore,
Que notre pauvre amour eut la chance d’éclore.
Et ce n’est pas non plus en face de la mer
Qui rend le sang plus riche, et dont le souffle amer
Courant dans les cheveux ainsi que dans des voiles,
Vous conseille d’appareiller pour les étoiles.
Et ce n’est pas non plus sous le ciel infini,
Si grand qu’on en a peur et qu’on désire un nid.
Ce n’est pas dans les bras de la mère Nature,
À ses tétons où tout amour cherche pâture,
Que nous fûmes bercés, que nous fûmes nourris.
Notre fleur eut pour sol le fumier de Paris.
C’est à Paris qu’elle a poussé, la fleur étrange,
Dans ce bouge rempli de sang, d’alcool, de fange,
Où l’on roule parmi les heurts, les coups de poing,
Où l’on parle à voix haute, où l’on ne s’entend point,
Où l’on ne peut trouver un seul coin solitaire,
Où l’on ne peut jeter une épingle par terre,
Où l’on ne voit le ciel qu’étranglé par des murs.
Ô prison encombrée aux horizons obscurs
Où le soleil brumeux pend comme une lanterne !
Ô bal public bondé de danseurs ! Ô caserne
Dont la rumeur grouillante étouffe les échos !
Ô charogne, que ronge un peuple d’asticots !
C’est là, c’est dans ces chairs aux puanteurs infectes,
Parmi ces escarbots, ces vers blancs, ces insectes,
Dans ces putridités, dans cette syphilis,