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thermidor


Le Temps peut survenir, majordome intraitable,
Qui dira brusquement de se lever de table,
Qui fera remporter les bons mets et les brocs,
Et vous mettra dehors avec rien dans les crocs.
Que direz-vous alors, vous, les convives mièvres,
Qui n’aurez pas touché vos verres de vos lèvres,
Qui n’aurez pas voulu repaître votre faim,
Sous prétexte de vous réserver pour la fin ?
Vous n’aurez pas mordu cette dinde si grosse,
Vous n’aurez pas trempé votre pain dans la sauce,
Vous aurez fait les fins, les fiers, les délicats,
Vous aurez attendu le moment des muscats,
Des bonbons, du gâteau monté qui trône au centre,
Et vous vous en irez en vous brossant le ventre.

Pas d’indigestion, pour sûr ! Et puis après ?
Croyez-vous que demain vous serez sans regrets,
En songeant aux bons crûs qui rougissaient les coupes,
Au fumet des ragoûts, à la bisque des soupes,
Aux légumes charnus, aux rôtis cuits à point.
Que vous pouviez avoir et que vous n’eûtes point ?
Ah ! lorsque vous irez, mangeurs de confitures,
Dans la rue, en serrant les crans de vos ceintures,
Affamés et grinçant des dents comme les loups.
Vous aurez des remords, et vous serez jaloux
De ceux qui se seront gaîment garni la panse.
Mais vous aurez beau faire et vous mettre en dépense,
Et chercher autre part un semblable repas ;
Ces beaux festins d’amour ne se retrouvent pas.