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Histoire

Si vous l’avez pu, vous Madame, sans que le cas vous ait été proposé, il doit l’avoir fait sans peine. Nous autres jeunes Filles, nous croyons que personne ne peut nous voir, lorsque nous avons la main devant nos yeux. En un mot, le Docteur a prononcé que l’augmentation de l’estime étoit un commencement d’amour. La conséquence étoit, que tôt ou tard la jeune Fille s’efforceroit de supplanter son Amie, quoiqu’à présent la seule pensée lui en fît peut-être horreur. Il a voulu qu’Anne l’avertît de se précautionner contre une flamme naissante, qui pouvoit, a-t-il dit, causer de grands ravages dans son cœur, &, sans la conduire à son but, faire le malheur d’un heureux couple, qui, suivant mon exposition, méritoit le sort dont il jouit. Enfin il lui a fait conseiller d’abandonner la maison ; & pour son propre honneur, pour son repos, de s’éloigner à la plus grande distance qu’il sera possible. Croyez-moi, Mme, cette décision m’a fort effrayée. J’ai jetté les papiers au feu ; & depuis que je les ai lus, je n’ai pas eu de repos. Ma chere Mylady Grandisson, ai-je pensé continuellement, si votre bonté m’encourage un peu, je vous ouvrirai mon cœur. Il faut bien qu’un jour ou l’autre vous entendiez parler de ma folie, de ma foiblesse. À présent, chere Mme, pardonnez-moi : gardez mon secret, & dites-moi ce que j’ai à faire.

Et que puis-je vous dire, ma chere Enfant ? Je vous aime. Je vous aimerai toujours. Je prendrai soin de votre honneur, autant que du mien. Je m’efforcerai d’entretenir, pour vous l’affection de votre Tuteur.

Je me flatte, Madame, qu’il n’a jamais eu le moindre soupçon de ma folie.

Il ne m’a jamais parlé de vous qu’avec tendresse.

J’en loue le Ciel ! mais dites, Mme, donnez-moi quelque conseil. Mon cœur sera dans vos mains. Vous le guiderez comme il vous plaira.

Quelle est votre propre opinion, ma chere ?