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Histoire

donner une meilleure preuve de votre tendresse & de votre confiance.

Cependant par intervalles, je croyois sentir qu’il s’élevoit dans mon cœur quelque chose de semblable à l’envie : Ah ! vous souffrez, je le vois, de m’entendre prononcer ce nom ?

Si je souffre, c’est de pitié pour vos peines, ma chere Émilie. Vous ne savez pas combien mon cœur est dilaté, par votre charmante confiance. Continuez donc, mon cher Amour.

Un jour, dans la résolution d’examiner mes propres sentimens ; je lui ai demandé, pensai-je en moi-même, la permission de vivre avec eux après leur mariage : Eh ! que me suis-je proposé dans cette demande ? Rien que d’innocent, croyez-moi. Ce que je desirois me fut accordé. C’étoit une grace que j’avois crue nécessaire à mon bonheur. Cependant, me demandois-je mille fois le jour, suis-je heureuse ? Non. Aimerois-je moins mon Tuteur ? Non. Mylady m’en est-elle plus chere, pour m’avoir fait obtenir cette faveur ? Il me semble que je l’admire de plus en plus, & que je ressens toute sa bonté ; mais je ne sais ce que je ressens encore. Il me semble qu’en l’aimant beaucoup, je souhaiterois quelquefois de l’aimer moins. Ingrate Émilie ! & je me faisois alors les plus séveres reproches. Sûrement, Mme, la pitié ressemble beaucoup à l’amour ; car, pendant que vos incertitudes ont duré, j’ai cru vous aimer plus que moi-même : mais lorsque je vous ai vue heureuse, & qu’il n’est point resté de motif pour la pitié, odieuse Fille que je suis, il m’a semblé que j’aurois été quelquefois bien aise de pouvoir vous rabaisser : ne me haïssez-vous pas à présent ?

Non, non, Émilie. Ma pitié, comme vous dites, augmente ma tendresse pour vous. Continuez, chere Fille. Votre ame est le pur livre de la nature. Faites m’en lire une autre page ; & comptez sur ma plus tendre indulgence. Je savois, avant vous-même, que vous aimiez votre Tuteur.

Avant moi-même ! comment cela se peut-il,