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du Chev. Grandisson.

de lui dire que, cette humeur continuoit, elle seroit obligée de quitter son service.

Partez donc, fut sa réponse. Je ne veux pas être menacée par une Servante. Vous commencez à prendre des airs importans. Partez, Anne, lorsque vous le souhaiterez. Je ne veux point de menaces. Je n’ai que trop de chagrins, sans en recevoir de vous.

Cette honnête Fille, qui lui est tendrement attachée, qui la sert depuis l’âge de sept ans, & dont son Pere approuvoit la bonne conduite & la fidélité, versa un torrent de larmes, & voulut lui représenter humblement ses peines. Elle lui en demanda même la permission. Mais elle n’obtint que de nouvelles marques de colere, avec un refus obstiné de l’entendre. Je ne veux rien écouter : vous avez commencé par le mauvais bout. Il falloit faire marcher les plaintes avant les menaces. Et se retirant dans son cabinet, elle ferma la porte sur elle.

Ma Femme de Chambre, de qui je tiens ce récit, offrit à la pauvre Anne de m’apprendre ce qui s’étoit passé. Mais loin d’y consentir, cette prudente Fille répondit que sa Maîtresse, comme toutes les jeunes personnes, étoit si jalouse de son autorité, qu’elle ne lui pardonneroit jamais d’avoir porté son appel à ma Tante ou à moi, & que se plaindre d’ailleurs sans espérances de succès, c’étoit exposer sa jeune Maîtresse, tandis que le mal présent pouvoit être guéri par le tems & la patience.

Émilie m’a fait pitié. Je n’ai déviné que trop facilement d’où venoit l’altération de son humeur. L’excessive bonté que son Tuteur a pour elle, ne fait qu’augmenter son amour. Ne sais-je pas moi-même que rien n’est si naturel ? Cependant, ai-je pensé, il la feroit mourir de chagrin, s’il prenoit d’autres manieres avec elle : & pour elle-même, je ne voudrois pas qu’il pût s’imaginer de la nécessité à changer de conduite.