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Histoire

de lui faire compter Émilie. Quelle ingratitude ! Gardez-vous bien de dire à cette chere Fille que j’étois si absorbée en moi-même, & que la conversation étoit si intéressante, qu’alors mon cœur n’étoit qu’une machine passive… Je retrouverai bientôt l’occasion de solliciter pour elle… Vous avez jugé autrefois que, pour son propre intérêt, elle ne devoit pas souhaiter de vivre avec nous, mais c’est un projet auquel son cœur s’obstine. Chere Enfant ! je l’aime. Je veux adoucir ses peines. Je la prendrai dans mon sein. J’aurai pour elle une compassion de Sœur. Elle m’accordera sa confidence. Je lui donnerai la mienne. Et son Tuteur ne soupçonnera rien : je serai aussi fidelle à son secret que vous & votre Sœur, graces à votre amitié, vous l’avez été au mien. Ne pensez-vous pas, chere Charlotte, que si Clémentine avoit eu une véritable Amie, à qui son cœur eût pu s’ouvrir dans la naissance de sa passion, elle se seroit garantie de la cruelle disgrace qui a fait long-tems le malheur de sa Famille ?

Ô ma chere ! Je suis perdue ! Émilie ne l’est pas moins ! Nous le sommes tous ! Que je l’appréhende du moins ! Mon insupportable négligence… Je veux fuir Sir Charles. Je ne pourrai plus le regarder en face… Mais c’est pour Émilie, pour ma chere Émilie, que je suis mortellement alarmée. En me promenant dans le jardin avec Lucie, j’ai laissé tomber le dernier feuillet de cette Lettre que j’avois prise avec moi. Je ne m’en suis point apperçue jusqu’à ce moment, que