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Histoire

entre deux personnes d’un âge si différent, sera libre de satisfaire plus particulierement votre curiosité. Je dois reconnoître ici les avantages que j’ai tirés de son amitié. Dans l’opinion que j’ai de sa probité & de ses lumieres, je me suis accoutumé à ne rien entreprendre d’important sans me faire les questions suivantes, dont j’éprouve continuellement l’utilité pour la conduite de ma vie : « Quel compte rendrai-je de cette action au Docteur ? Si je me laisse emporter par cette passion, en ferai-je l’aveu au Docteur, ou, devenant un lâche hypocrite, ne lui présenterai-je que le bon côté, & lui déguiserai-je honteusement le mauvais ? » Ainsi, le Docteur Barlet me tient lieu d’une seconde conscience. Si j’ai fait quelques bonnes actions dans ma vie, & si je me suis soutenu dans la haine du vice, c’est pour l’avoir établi comme un surveillant sur ma conduite. Ce secours m’étoit d’autant plus nécessaire, que je suis naturellement passionné, fier, ambitieux ; & que dès ma premiere jeunesse, si vous me pardonnez, Mademoiselle, cette apparence de vanité, j’ai eu quelque part à l’attention d’un sexe, pour lequel on n’a jamais eu plus d’admiration que moi : c’est une faveur que je crois devoir à l’éloignement que j’ai toujours eu pour les femmes trop libres, sans me laisser éblouir par le rang & la beauté, qui sont les amorces ordinaires de la plupart des jeunes gens.