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plutôt à nous pour nous aider à rétablir les faits que certains historiens de la dernière heure ont pris à tâche de dénaturer ! Compatriotes anglais, montrez-nous que le British fair play n’est pas un mot vide de sens. Imprimez sur le front des coupables le stigmate qu’ils méritent ! Et nos frères acadiens pardonneront le passé, ils l’oublieront même… si cela leur est toutefois possible après tant d’infortunes.

Une curiosité bien naturelle nous a poussé à étudier cette histoire ; des convictions profondes nous ont amené à l’écrire. Nous regrettons d’avoir cédé à cette curiosité : elle a jeté sur notre vie un voile de tristesse que rien ne saurait dissiper. Nous nous sommes condamné à refaire sans cesse par la pensée le calvaire d’opprobres et d’ignominies que nos pères avaient dû gravir. Notre esprit s’est rivé à cette lugubre épopée, comme autrefois Pygmalion à sa statue, avec cette différence essentielle que celui-ci se complaisait dans la contemplation de son œuvre, tandis que nous sommes hanté par un cauchemar qui ne nous laisse aucune trêve. Nous avons voulu voir : nous avons vu. Quand nous avons voulu reculer, il était trop tard. Comme le fiancé qui n’avait pu résister au désir de revoir dans la mort les traits de celle qui avait charmé son cœur, nous avons cherché à nous enfuir épouvanté ; mais l’impression était faite ; nous restions victime de notre témérité.

Un profond penseur a dit : « Heureux les peuples qui n’ont pas d’histoire ! » — Cette pensée est aussi vraie et profonde qu’elle semble étrange. Elle soulève dans nos esprits un flot de réflexions amères. L’on serait tenté de la prendre pour un paradoxe, tant d’ordinaire les nations, fortes ou faibles, humbles ou superbes, glorifient leur passé, le regardent avec aise et s’ingénient à embellir et à magni-