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étrangers où des traitements barbares centupleraient ses souffrances et prolongeraient son agonie, une nation ne méconnaît pas ainsi le droit des gens, sans en souffrir éternellement dans son honneur. Mais une si abominable conception, dont l’idée première remonte au gouvernement britannique[1], ainsi que je l’ai prouvé dans ma conférence sur les Causes de la Déportation, et qui a été exécutée par des hommes qui n’ont rien négligé de ce qui pouvait en accroître l’ignominie foncière, a-t-elle rapporté du moins des profits matériels tangibles, et qui, pour une race de boutiquiers, constituent des compensations qui valent bien les sacrifices qu’elles ont coûtés à la respectabilité nationale ? Les instruments immédiats de cette honteuse entreprise en ont-ils fort avancé leurs affaires ? Nous parlons ici en thèse générale, car ainsi qu’on dit dans l’école, non datur scientia de particularibus. Il y a eu des individus, en effet, pour qui la spoliation des Acadiens a été une heureuse chance. Mais, si nous laissons de côté ces faits particuliers, ces cas d’enrichissement personnel comme fruit d’un vol organisé, est-ce que, par exemple, le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, en tant que gouverneur, à savoir personnage officiel devant avoir à cœur les intérêts de sa province, a posé là un acte qui a été à l’avantage de celle-ci ? De quelque côté qu’on envisage la Déportation des Acadiens, et qu’on la mette en regard des ambitions de conquête que nourrissait l’Angleterre à l’égard de tout le Canada, ou qu’on la considère du point de vue du développement naturel de la péninsule, ou que l’on réfléchisse au devoir qui s’imposait à Lawrence, s’il eût simplement voulu faire acte de sage administration, l’on est obligé de conclure que cette déportation fut parfaitement inutile, et non-seulement inutile, mais nuisible à l’avenir de cette province, dont elle a entravé et retardé indéfiniment le progrès. Oh ! comme tout s’enchaîne ici-bas ! Comme est merveilleuse la solidarité des divers ordres moral et matériel ! Et comme on ne peut toucher aux lois éternelles fixées par la Providence, sans que la nature résiste en quelque sorte, et venge l’harmonie universelle qui a été brisée par le crime des hommes ![2] La Grande-Bretagne rêvait d’un empire américain qui embrassât tout le nord du continent, et depuis toujours les possessions françaises en Canada l’empêchaient de dormir. Mais je demande en quoi la présence de quinze à vingt mille français neutres en Nouvelle-Écosse pouvait empêcher les armées anglaises de réaliser les vastes ambitions nationales ? Les Acadiens, liés par un serment de neutralité, avaient toujours été fidèles à leurs engagements : en maintes circonstances délicates,

  1. « …We are of opinion they (the French Inhabitants) ought to be removed as soon as the Forces which we have proposed to be sent to you shall arrive in Nova Scotia… » (Board of Trade to Gov. Philipps. Whitehall, December 20, 1720. — N. S. D., p. 58).
  2. Dans un discours prononcé à l’Assemblée Nationale, le 22 avril 1872, Gambetta a parlé du « châtiment éternel qui sort des choses ». — Voir Gambetta par Paul Deschanel, p. 145.