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Boston, on fait difficulté pour les recevoir. Et pourtant, ce sont des milices du Massachusetts qui sont venues effectuer la déportation, et c’est Shirley, le gouverneur de cette province, qui avait, de concert avec Lawrence, ourdi ce beau plan. Mais quand les bateaux arrivent, Shirley est absent. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il ait pris aucune disposition en vue de l’arrivée possible des neutres français. C’est donc le lieutenant-gouverneur Phips, qui, avec son conseil et la chambre des représentants, est chargé d’adopter les mesures d’urgence que demande une situation si imprévue. Ah ! ces mesures, comme elles furent mesquines, étroites, sévères ! Les Acadiens sont semés, çà et là, dans les divers bourgs, et remis à l’assistance publique, qui tiendra un compte minutieux de toutes les dépenses qu’occasionnera leur entretien. Il faudra que ces versements à même les fonds de chaque municipalité, soient rigoureusement remboursés par la Nouvelle-Écosse. J’ai dit que les Acadiens furent semés ; j’aurais dû plutôt mettre : parqués. Et si vous voulez un exemple de la rigueur avec laquelle ils furent surveillés, voici un extrait d’une loi passée en conseil le 20 avril 1756 :[1] « Il est décrété par le gouverneur en conseil et la chambre des représentants qu’à partir du 1er mai 1757, les habitants de la Nouvelle-Écosse ne devront pas sortir des limites du bourg dans lequel ce gouvernement les a placés sans une permission écrite ; en cas de contravention, le ou les coupables devront être arrêtés et traduits devant un juge de paix ; en cas de récidive, celui, celle ou ceux qui seront coupables seront passibles d’une amende n’excédant pas dix schellings ou de recevoir publiquement un nombre de coups de fouet n’excédant pas dix… » Et voici, choisi parmi des centaines d’autres semblables ou plus odieux encore, un spécimen de la manière plutôt forte que l’on appliqua à ces exilés : « Pétition de Charles et Nicolas Breau. Quelque temps après leur arrivée à Boston, les pétitionnaires furent envoyés avec leur famille composée de neuf personnes en tout, au bourg de Hanover, où ils furent installés sous la surveillance d’un nommé John Bailey, dans la maison réservée pour les déportés. Pendant leur séjour à cet endroit, c’est-à-dire jusqu’à samedi dernier, ils se sont efforcés par leur travail, ainsi que leur autre frère et leurs quatre sœurs, de pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs parents. Bien qu’ils aient constamment travaillé, car on les employait soit à couper du bois, soit à enlever la pierre ou à d’autres travaux des champs, ils n’ont jamais reçu un sou en retour, et pendant les 14 derniers jours, c’est à peine si on leur a donné à manger, et encore les vivres étaient-ils tous de mauvaise qualité. Samedi dernier, une vingtaine d’hommes à l’air menaçant ont pénétré dans l’habitation des pétitionnaires, et plusieurs portaient des cordes dans leurs mains. Ils ont entraîné le père et la mère des pétitionnaires, vieillards âgés de soixante-quatre ans, dans une charrette et les ont emmenés dans un endroit inconnu,

  1. Pour toutes ces références, nous renvoyons aux French Neutrals, Archives du Massachusetts, deux cahiers, et aux Arch. Can. (1905) App. E.