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sion du presbytère. J’espère que vous remplirez à merveille les fonctions de prêtre. »[1] Par un ordre du jour en date du 7 septembre, le lieutenant colonel avait convoqué pour les trois heures de l’après-midi, dans l’église de Grand-Pré, les hommes et les jeunes gens de ce village et des villages avoisinants, à l’effet de leur communiquer les dernières instructions de Sa Majesté. Ses subalternes, Murray, Prebble et autres, devaient tenir de semblables réunions dans les autres régions de la province confiées à leur zèle. Malgré les événements extraordinaires de ces dernières semaines, le ravissement de tout ce qu’ils possédaient en fait d’armes à feu, l’emprisonnement dans la petite île Saint-Georges de cent quinze délégués que Lawrence avait mandés à Halifax, tout ce déploiement militaire autour de leur petite église paroissiale, il semble que les Acadiens ne s’attendaient pas au coup de foudre dont leurs bourreaux allaient les frapper. Winslow, parcourant les campagnes, à la veille de prononcer contre ce peuple la sentence qui va le briser à jamais, note dans son journal :[2] « Température magnifique. Les habitants sont très occupés à faire leurs moissons. » À l’heure dite, le 5 septembre, — un vendredi — l’église se remplit de quatre cent dix-huit hommes et jeunes gens, et le lieutenant-colonel, debout devant une table placée dans le chœur, adresse à l’assemblée une proclamation de laquelle nous détachons les passages les plus saillants : « Je suis ici pour vous faire savoir les ordres du Roi à votre égard. Le devoir que j’ai à remplir, bien qu’impérieux, répugne à ma nature et à mon tempérament, comme il va vous répugner à vous-même, qui êtes de la même espèce que moi. Mais il n’y a pas à tergiverser : vous et moi n’avons qu’à obéir. Vos terres, vos maisons, tous vos troupeaux, tout votre bétail, sont confisqués au profit de la Couronne, ainsi que tout ce que vous possédez, sauf votre argent et vos ustensiles de ménage ; quant à vous, vous allez être déportés hors de la province. Et tous les habitants français de ces districts auront le même sort. Je ferai tout en mon possible pour que les familles entières prennent place à bord des mêmes vaisseaux, et pour que cette déportation, qui va vous causer de graves ennuis, vous soit adoucie dans la mesure où le permettra le service de Sa Majesté. Je fais des vœux pour qu’en quelque partie du monde où vous alliez, vous deveniez des sujets fidèles et formiez un peuple paisible et heureux. En attendant, nous vous déclarons que vous êtes prisonniers du Roi. »[3]

Voilà la première scène du drame que j’ai entrepris de vous exposer. Elle

  1. « Forte Cumberland — Aug. 24th, 1755. — … we rejoyce to hear of your safe arrival at Mines and are well pleased that you are provided with so good quarters for yourself and soldiers and as you have taken possession of the Fryars House, hope you will execute ye office of a Priest… » Jedediah Prebble. — (Winslow’s Journal, N. S. H. S., vol. iii, p. 99).
  2. « 1755, September the 4th… A fine day and the inhabitants very busy about their harvest… » Journal, ibid., p. 94.
  3. Winslow Journal, ibid., 94-95.