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« Nous avons pris la liberté de vous présenté cette Requeste, comme nous sommes en chagrin par raport à nos enfans. La perte que nous avons souffris de nos habitations, et amené icy, et nos séparations les uns des autres, n’est rien a comparé à celle que nous trouvon a présent, que de prendre par force nos enfans devant nos yeux. La nature même ne peut souffrir cela. Si il estait en nostre pouvoir davoir nostre chois, nous choisirions plustôt de rendre nos corps et nos âmes que destre séparé deux. C’est pourquoy nous vous prions en grâce et à vos Honours que vous ayé la bonté dapaisser cette crueltéz… » Signé : Jean Lendrey, Claude Bennois, Claude Le Blanc, Jacques Esbert, etc., avril 1756. »[1]

Une autre requête, celle-ci en anglais, en date du 5 mai 1756, et présentée par Claude Bourgeois, de Amesbury, porte : « Voici quatre semaines environ, dix ou douze hommes vinrent chez lui, et lui ravirent deux de ses filles, l’une âgée de vingt-cinq ans, et l’autre de dix-huit : ses filles étaient alors occupées à filer pour la subsistance de la famille de pauvres restes de chanvre et de laine qui étaient tout ce qu’ils avaient pu sauver à leur départ d’Annapolis… »[2] Citons enfin une requête, présentée le 10 septembre 1756, et qui montre combien les Acadiens étaient étroitement surveillés et comme parqués en tel ou tel lieu, d’où ils ne pouvaient sortir qu’avec permission spéciale du Gouverneur même et de son Conseil :


« À Son Excellence William Shirley, etc.,

« La requérante est actuellement bien malade de la fièvre à Boston ; elle supplie humblement que, si Dieu daigne épargner sa vie et la rendre de nouveau à la santé, il lui soit permis d’aller vivre à Newbury avec son frère Pierre Doucet, le seul parent ou ami qu’elle ait en ce pays… »

Signé : Marguerite Doucet. »[3]


Ces documents brisent l’âme. Mais ce n’est pas le moment d’en parler plus longuement. Les considérations que nous avons à faire maintenant doivent s’inspirer de l’exposé historique que nous venons de vous soumettre et en tirer les conclusions qui s’imposent.


II


D’après les quarante années d’histoire que nous avons déroulées sous vos yeux à grands traits, les Acadiens méritaient-ils la sorte de châtiment qui leur a été infligé, — la déportation, la peine la plus forte du code pénal après la

  1. French Neutrals, I, p. 49.
  2. Ibid., I, p. 63.
  3. Ibid., p. 215.