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seillers naturels de leur peuple. Très-instruits pour la plupart, dévoués corps et âme à leurs ouailles, pénétrés de la grandeur de leur mission, donnant l’exemple de toutes les vertus évangéliques, par grâce et par éducation, mieux à même que personne de prévoir les risques qu’allaient courir leurs fidèles, au point de vue religieux, en acceptant de rester sous une domination étrangère persécutrice du catholicisme, ils se firent un devoir d’engager ceux-ci à se prévaloir du droit que leur assurait la clause particulière du traité d’Utrecht les laissant libres de s’en aller. Que de figures admirables parmi ces anciens missionnaires de l’Acadie ! Un Germain, un St-Poncy, un Chauvreulx, un Leguerne, un Maillard, un Daudin, surtout un Le Loutre ! Chacun mériterait d’avoir sa monographie. Qu’il nous soit permis du moins de leur adresser l’hommage de notre vénération et de notre admiration, pour s’être identifiés avec les intérêts moraux de leurs populations, et pour s’être montrés leurs guides sûrs, prudents, éclairés, à travers toute l’histoire acadienne, et spécialement au milieu des inextricables difficultés que nous allons voir.

C’est ici, en effet, que commence la période véritablement dramatique dont le dénouement sera la déportation. Le nœud de l’action, l’essence du drame consiste en ceci : les Acadiens veulent s’en aller en territoire français, ainsi que les conditions stipulées par le traité d’Utrecht, les y autorisent. Mais leur départ ferait de la péninsule un désert : la Grande-Bretagne se trouverait avoir sur les bras un pays vide d’habitants, un domaine sans rendement, un improductif lambeau colonial. Et alors, à quoi auraient servi les sacrifices qu’elle avait fait pour le conquérir ? Quelle garnison voudrait se charger de veiller sur ces solitudes ? Et comment les soldats se ravitailleraient-ils ? Quel profit y aurait-il eu à se faire adjuger un territoire destiné à redevenir inculte, destiné plutôt à retomber sous l’empire de ses anciens maîtres ? Car, si les Acadiens émigrent, ce sera chez les Français tout voisins, dont les armées se trouveront d’un coup renforcées d’un apport considérable. Et n’est-ce pas à reprendre leur bien perdu que les Français utiliseront d’abord ces forces nouvelles ? — Il n’y a donc qu’une chose à faire, pour le moment du moins, retenir dans le pays les habitants, sous un prétexte ou sous un autre, par force ou par ruse, par tous les moyens que pourra suggérer l’hypocrisie ou inspirer la violence. Et quand le temps assigné par le traité pour émigrer en terre française se sera écoulé sans que cette émigration ait pu se produire, à cause des empêchements que l’autorité anglaise y aura mis, alors surgira la fameuse question du serment. Et les Acadiens seront enfermés dans ce cercle vicieux : prêter un serment sans réserve à la Couronne Britannique, ou s’en aller. Mais ce serment est impossible à leur conscience patriotique et à la délicatesse de leurs sentiments, car il les exposerait un jour ou l’autre à verser le sang de leurs parents, de leurs frères. Les seuls ennemis que l’Angleterre aie en ces régions, ce sont les Français et les Sauvages leurs alliés. Si les Acadiens prêtent ce serment absolu qu’on veut leur imposer, quelle sera leur situation tôt ou tard ? — S’en aller, ils l’ont voulu, ils le veulent encore. Mais leur départ a