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de leurs opérations, arrachent ces hommes par milliers à leur infortuné pays. »[1]

Certes, les déportations accomplies par les Allemands, en Belgique et dans le nord de la France, ont semblé mettre le sceau aux atrocités par lesquelles ils s’étaient signalés, dès le début de cette guerre. Un frisson d’indignation et d’épouvante secoua le monde civilisé à cette nouvelle. Il a été officiellement prouvé que ce ne sont pas seulement des hommes qui ont été ainsi violemment expatriés, mais des femmes, des jeunes filles à qui on a fait subir un traitement infâme pire que la mort, des enfants.[2] Dans les protestations que le cardinal Mercier a opposées à ce crime, nous lisons ceci : « Voilà donc des Belges réduits en esclavage, et, sans jugement préalable, condamnés à la peine la plus forte du code pénal après la peine de mort, à la déportation. »[3] Cependant, si horribles que soient ces faits, ils n’égalent probablement pas, dans l’ensemble, ceux que nous allons étudier. Et d’abord, soit dit incidemment, l’on a là la preuve, si souvent faite, que les Boches n’ont vraiment pas l’esprit inventif : l’histoire d’Angleterre leur offrait sur ce point un premier modèle. Et, dans l’imitation qu’ils en ont essayée, ils sont restés en deçà de l’original. Si condamnables qu’elles soient, je ne dis pas seulement au point de vue de l’humanité, car cela va de soi, mais au point de vue des lois internationales de la guerre, les déportations belges ont été accomplies en temps de guerre, sous l’effet de passions exaspérées par la guerre ; par suite, elle ont eu un caractère éminemment transitoire ; et puis, ce n’est pas tout un peuple que l’on a ainsi expulsé et chassé de ses foyers. Tandis que la déportation des Acadiens a été silencieusement tramée et préparée pendant de longues années de paix ; qu’elle a été froidement opérée en pleine paix ; que c’est la population de tout un pays qui a été embarquée pêle-mêle à bord de vaisseaux soigneusement nolisés à cette fin, et semée au long des plages de l’Atlantique, depuis Boston jusqu’à la Virginie et la Caroline. Et cette déportation ne fut pas l’affaire d’un jour ni d’une année. Si la proscription en masse a été exécutée dans l’automne de 1755 et les premiers mois de 1756, — jusqu’en 1763, ce fut une véritable chasse à l’homme, pour disperser les derniers débris de cette race malheureuse, en déraciner à nouveau les quelques rejetons qui, croyant la tempête passée, avaient cherché à s’implanter derechef dans le sol de leur ancienne patrie. Voilà le chapitre émou-

  1. It may be said to have an almost contemporary importance, owing to a somewhat similar condition in Belgium, where the Germans, arguing that their affairs are jeopardized by the presence of many able-bodied men in the rear, are carrying thousands away from that unhappy country.
  2. Cf. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1917. Journal d’une Déportée par Mme  H. Célarié.
  3. Cf. Le cardinal Mercier contre les Barbares. Troisième partie. Le cardinal Mercier et les Déportations, p. 122. (Paris, Bloud et Gay, 1917.)