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meurent point dans un quartier séparé. Ils sont distribués dans diverses maisons bourgeoises, et d’ailleurs plusieurs de leurs jeunes gens en apprentissage chez des ouvriers anglais y ont contracté des inclinations peu françaises ; ainsi, il y a lieu de craindre que le secret exigé par M. de la Rochette n’ait pas été observé avec autant d’exactitude que dans les autres villes. Il faut dire aussi que plusieurs d’entre eux ajoutant peu de foi aux assurances qui leur étaient données, leur bonne volonté n’a pas été unanime.

M. de la Rochette arriva à Bristol le 31 janvier. Il y trouva les Acadiens au nombre de 184 personnes qui s’abandonnèrent entièrement à la protection du roi. Ils n’eurent aucune peine à prendre confiance en M. de la Rochette, parce qu’ils avaient vu les deux députés qui de Southampton s’étaient rendus auprès de M. le Duc de Nivernois.

Il y a une défiance générale qui prévaut plus ou moins chez tous les Acadiens et dont voici les principaux motifs.

1o Leurs frères qui furent transportés en France au commencement de la guerre, y restèrent plusieurs mois sans recevoir aucun secours. Ils craignent d’éprouver le même sort en arrivant dans le royaume.

2o Leurs prêtres actuels, qui sont Anglais ou Écossais, et que l’on a flattés de l’espérance de devenir leurs curés en Acadie, ne cessent de les exhorter à renoncer à la France qu’ils leur représentent comme un pays abandonné de Dieu.

3o Ils se flattent toujours de retourner en Acadie et d’y jouir du libre exercice de leur religion sous la protection du roi. Ceux mêmes qui sont en France, à Boulogne, St-Malo et Rochefort persistent dans cette opinion et l’ont même écrit aux Acadiens en Angleterre.

5o Ils craignent que le roi n’abandonne leurs frères dispersés dans les Colonies anglaises du continent septentrional de l’Amérique. Ceux-là forment le plus grand nombre, et ils sont plus de 10,000 qui meurent de faim.

De temps en temps il s’en sauve quelques-uns en Europe et deux familles de ces malheureux sont arrivées il y a quelques semaines de Boston à Bristol. Les Anglais, cependant, en transportent tous les jours et lorsque le Chlier de Ternay s’empara de Terre-Neuve ils en firent passer à la Nouvelle-Angleterre (où il y en a déjà un grand nombre), 700 qui se trouvaient encore à Chibouctou, Halifax ou aux environs.

Dans la supposition que le roi ne pourrait délivrer tous ces Acadiens dispersés, ni en les réclamant comme des sujets ni en les rachetant comme des captifs, il est certain que l’on peut toujours en faire revenir la plus grande partie, en faisant assurer secrètement à tous ceux qui s’échapperont, le traitement accordé aux Acadiens aujourd’hui en Europe.

À l’égard du traitement à leur accorder, voici une idée que je crois bonne, parce qu’elle me paraît concilier les intérêts de l’État avec ceux des Acadiens et ceux de l’équité. Avant de la proposer je vais en développer brièvement les motifs.