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C’est ce qui a réduit une grande partie du monde à vivre cet hiver de viande uniquement, et ce sera la seule nourriture des trois quarts et demi des gens avant le commencement de May ; on peut donc, dirés-vous, vivre simplement de viande et ces habitations n’en doivent pas manquer dans un païs assez fourni d’animaux.

Je réponds à cette objection :

Premièrement on vit simplement de viande mais malheureusement ; il faudroit un tempérament sauvage pour y tenir, aussi avons-nous une espèce de maladie épidémique causée en apparence par des indigestions, accompagnée de migraine, de points de côté et suivie d’une forte dissenterie. Cette maladie est longue, règne actuellement et a enlevé plusieurs personnes.

Deuxièmement. On subsisteroit quoique bien mal avec la viande si on l’avoit bonne, mais désormais on ne peut espérer de pareille qu’au retour de l’été.

Cet automne les animaux étoient en état, on en a fait des provisions de viandes bonnes à la vérité mais en trop petite quantité ; on n’a pu faire que très peu de l’ouvrage et encore dans l’arrière saison : Leur petite quantité jointe à la mauvaise qualité ne sçauroit entretenir les animaux, ils sont maigres et foibles au point que plusieurs ne peuvent marcher jusqu’au bord de la mer.

Voilà cependant sur quoy il faut vivre jusqu’à ce que la Providence nous envoye des vivres d’ailleurs. Jugés, Monsieur de notre scituation ; en vérité ces viandes sont si chétives que les sauvages les rebutent tout carnaciers qu’ils puissent être. On ne sçait plus que donner à une quantité de ces nations qu’on a gardé icy pour aller au besoin sur l’ennemy.

Troisièmement : Enfin la maigreur des animaux surtout sans autres vivres en augmente la consommation ordinaire du double et au delà. Quelle dépense d’ailleurs pour entretenir des sauvages ? Il faut l’avoir entrepris pour le comprendre ; ajoutés à tout cela qu’il y a des pauvres gens qui n’avoient que très peu d’animaux, d’autres en ont perdu, d’autres ont eu le chagrin de voir enlever leurs bestiaux par les Anglois.

J’ose donc assurer que s’il ne nous vient pas du secours en deçà de l’été, que la famine fera voir icy le plus cruel des spectacles. Monsieur Bigot me mande qu’il enverra icy des vivres le plutôt qu’il pourra, Monsieur le Général me le marque aussy, mais les glaces et les précautions nécessaires dans la position des affaires rendront ces secours trop tardifs, nous sommes déjà dans une grande mizère.

C’est pourquoy je prends la liberté de m’adresser à vous pour obtenir des secours à l’ouverture même de la navigation. Nous avons besoin de tout, farines, lard, pois, graisse, poudre, plomb Royal surtout, des balles aussy et des postes, un peu de vin, de mélasse, d’eau de vie, pour les malades, il y a plus de trois mois que nous n’avons plus aucune sorte de boisson, hameçon, toiles, lignes, couvertes avec un peu de tabac pour nos pauvres gens qui pâtissent beaucoup dans une situation comme la nôtre ou la livre se vend jusqu’à dix ou vingt