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sieur le Général qui prescrivoit aux Accadiens de se retirer dans les bois, vis à vis de leurs habitations (Monsieur de Niverville fit aussy dans ce temps là six prisonniers sur les Anglois).

Dès lors il n’y avoit dans l’Accadie françoise qu’environ deux cent cinquante familles placées dans la Rivière de Chipoudy, Petcoudiac et Memeramcouk, cette dernière étoit la plus exposée n’étant éloignée que de sept lieues de Beauséjour ; mais l’habitant reculé d’une demie lieue dans le bois si trouvoit en sûreté, le peu de grains qu’il avoit cueilly joint à ses bestiaux, lui promettoit une subsistance suffisante pour l’hiverner et le conduire à l’embarquement, heureux encore s’il avait gardé la retraite mais l’intérest, l’indocilité, l’inexpériance et la fausse sécurité ont toujours été fatale aux Accadiens.

On s’imagina bientôt que l’Anglois étoit incapable de voyager dans la rigueur de l’hiver, j’essayai en vain de les désabuser, on reparut dans les déserts, plusieurs même se relogèrent dans leurs maisons.

L’Anglois toujours inquiet s’il ne se formoit pas quelques projets contre luy envoya à Memeramcouq trente hommes à la découverte qui prirent trois des nôtres la veille des Rois. Ce fût le plus grand de nos maux, notre principale force consistoit dans l’ignorance ou étoit l’enemi sur notre situation.

Dans ce tems là même Monsieur de Boishébert marchoit à la tête d’un party de deux cent cinquante hommes, tant Sauvages qu’Accadiens pour frapper à la Baye Verte et aux environs de Beauséjour, mais dès lors il augura mal du succès de son expédition, il jugea même qu’il la falloit différer au moins de quinze jours.

Mais voici le plus fatal de nos malheurs, nous caressions un serpent qui nous a presque tués.

Un certain Daniel, Suisse de Nation, soy disant habitant et déserteur de Chibouctou se tenoit parmi nous depuis quatre ans, il avoit été domestique de Monsieur Manach et de quelques uns de nos Commandans, il servoit d’espion à Monsieur le Loutre contre l’Anglois, il étoit cet hyver l’homme de confiance du Père Germain, on le chargeait même de quelques commissions concernant les affaires du Roy.

(a) Un capitaine Anglois que nous avons prisonnier à la Rivière Saint-Jean a déclaré que ce Daniel a esté trois fois aux Anglois dans le cours de l’esté passé. Pour le coup nous croyons n’avoir plus de traîtres, parmy nous et nous espérons ne sera plus si à portée de nous molester. (a)

Ce malheureux sur quelques légers mécontentements passa chez les Anglois vers le quinze de Janvier ; on ne sçauroit exprimer tout le mal qu’il nous a causé, il a de l’esprit, écrit assés bien, parle avec facilité, s’informe de tout et raisonne en politique.

Ce malheureux a rapporté à Monsieur le Commandant de Beauséjour la situation et les dessins des habitans qui aux Mines, au Port Royal, et dans ces quartiers se sont échappés aux Anglois, les projets des françois pour emmener ces pauvres fuyards, où ils doivent s’embarquer, en un mot, comme il sçavoit tout il a tout mis au jour et a ajouté mille impostures.